Les artistes Blue-Chips

Les artistes Blue-Chips

Une poignée de lots d’artistes Blue-Chips, pouvant atteindre plusieurs dizaines de millions de dollars, impacte le résultat mondial.

Avec leurs œuvres valorisées à plusieurs dizaines de millions de dollars, les signatures tutélaires de l’Art Contemporain représentent un enjeu colossal pour le Marché des enchères: 85% du résultat mondial – 1,9Mrd$ – reposent sur 500 artistes majeurs, et près du tiers du produit des ventes d’Art Contemporain tient à dix signatures seulement.

Si les artistes Blue-Chips légitiment l’aura d’une collection, qu’elle soit publique ou privée, les prix qu’ils atteignent dépendent avant tout de la santé financière de ceux qui souhaitent les obtenir, des millions qu’ils sont prêts à lever, des records qu’ils ont envie d’emporter.

Actuellement, ces artistes du haut de la pyramide sont soumis à une réserve de circonstance après l’opulence des dernières années. Les produits des ventes s’allègent donc pour les dix élites du marché, qui perdent près de 188 millions de dollars sur cet exercice.

Poids des principaux artistes dans le produit des ventes mondial aux enchères

Top 500 artistes: 1,9Mrd$, soit 85% du résultat mondial

Top 50 artistes: 1,164 Mrd$, soit 51% du résultat mondial

Top 10 artistes: 630,2m$, soit 27% du résultat mondial

Poids du Top 10 artistes dans le produit des ventes d’Art Contemporain aux enchères (2022/23)

Poids du Top 10 artistes dans le produit des ventes d'Art Contemporain aux enchères (2022/23)

Des dix artistes les plus performants du Marché de l’Art Contemporain, BANKSY, troisième mondial, voit son résultat révisé de 79 millions de dollars au regard de ses dernières performances. Cette baisse repose sur deux facteurs: un facteur structurel, qui tient à l’amoindrissement de pièces intéressantes en comparaison des propositions offertes en 2021/2022, et un facteur contextuel, qui est le retour à plus grande sérénité aux enchères. L’heure n’est plus aux adjudications flamboyantes de 2021, quand l’artiste dépassait les 10 millions à quatre reprises et frappait même un résultat inattendu à plus de 25 millions de dollars (Love is in the Bin). Plusieurs collectionneurs, emportés par leur enthousiasme, faisaient alors littéralement flamber les prix. L’une de ses images célèbres – Love is in the air (15 exemplaires et quelques épreuves d’artistes) – s’envolait par exemple pour 12,9m$ contre une estimation à 3-5m$. Lors de sa dernière mise en vente à l’automne 2022, l’image de Love is in the air s’est vendue plus sagement pour 3,9m$, renouant avec son appréciation initiale.

Cette année, les œuvres majeures de BANKSY ont toutes trouvé acquéreurs dans leurs fourchettes d’estimation, ne les excédant que rarement et de peu. Cependant, la décélération du volume d’affaires de l’artiste est concomitante d’une recrudescence des ventes. Ces résultats illustrent parfaitement les ajustements en cours sur le Marché de l’Art Contemporain: un segment haut de gamme moins agité et une demande puissante pour les œuvres plus abordables. Les transactions de BANKSY s’accélèrent donc considérablement (+55%), avec plus de 1.600 lots vendus sur cet exercice. L’artiste est bel et bien plus demandé que jamais.

Les mouvements du Top 10 des artistes contemporains (vs 2021/2022)

Les mouvements du Top 10 des artistes contemporains (vs 2021/2022)

En 2022/2023, seuls quatre artistes prétendent à des adjudications supérieures à 10 millions de dollars: Jean-Michel BASQUIAT, Jeff KOONS, Yoshitomo NARA à deux reprises, et Christopher WOOL. C’est peu face aux performances enregistrées juste après la crise sanitaire (2020/2021), lorsque le seuil des 10 millions était dépassé à 26 reprises, notamment par BANKSY, Richard PRINCE, Peter DOIG, Adrian GHENIE, mais aussi par les contemporains chinois LIU Ye, ZHOU Chunya, ZHANG Xiaogang, CHEN Danqing, LIU Xiaodong, LENG Jun et GENG Jianyi, dont le marché n’est plus aussi faste actuellement. La modération du marché très haut de gamme concerne autant les grands artistes occidentaux que les chinois.

Ajustements pour des œuvres de KOONS et de WOOL

Sur le marché ténu des œuvres multi-millionnaires, les moins-values s’avèrent aussi spectaculaires que les gains. Illustration avec l’une des œuvres les plus importantes vendues cette année: Jim Beam – J.B. Turner Train (1986) de Jeff KOONS, sculpture emblématique de la série Luxe et Dégradation. Ce grand train en acier poli, initialement rempli de whisky, perd la moitié de sa valeur en une dizaine d’années: vendue 33,7m$ chez Christie’s en 2014, l’œuvre a cette fois plafonné à 16,9m$. Il est vrai que sa vente passée au seuil des 34 millions advenait à un moment particulièrement faste pour le Marché de l’Art, mais aussi à une période clé de la carrière de KOONS: tous les projecteurs étaient alors braqués sur lui pour sa grande rétrospective au Whitney Museum of American Art de New York (avant le Centre Pompidou de Paris). Cette actualité institutionnelle a favorisé l’enthousiasme d’enchérisseurs prêts à débourser plus de 100 millions de dollars en 2014 pour une pièce emblématique de KOONS. Sur l’exercice qui nous concerne, le produit des ventes de l’artiste tombe à 36,1m$, ce qui l’amène en cinquième position mondiale.

D’autres exemples de révisions de prix concernent Christopher WOOL, septième artiste contemporain le plus performant aux enchères, avec 33,6m$ sur cet exercice, contre 50,2m$ sur le précédent. En mai 2023, une œuvre sans titre issue de la collection Gerald Fineberg est estimée entre 15 et 20 millions de dollars par Christie’s, mais elle plafonne à 10 millions. Au même moment chez Sotheby’s, une autre toile attendue entre 10 et 15 millions se vend 8,37m$. Or, cette dernière – Untitled (Please)  (1988) – perd la moitié de sa valeur par rapport au prix qu’en obtenait Christie’s en 2017 (17,1m$).

Face aux soutiens plus frileux constatés pour les œuvres de Jeff KOONS et de Christopher WOOL, un artiste maintient des flambées de prix exceptionnelles: il s’agit de Jean-Michel BASQUIAT, dont le nom évoque à lui seul le potentiel financier exponentiel du Marché de l’Art Contemporain.

10% du résultat mondial repose sur Basquiat

BASQUIAT est un pilier du Marché de l’Art Contemporain, au même titre que PICASSO pour l’Art Moderne. La vente de ses œuvres constitue un socle important de 10% du produit des ventes mondial d’Art Contemporain aux enchères, ses toiles étant les plus valorisées du marché. Sur cet exercice, l’artiste remporte d’ailleurs six des onze ventes supérieures à 10 millions de dollars. Parmi elles, l’œuvre El Gran Espectaculo (The Nile) (1983) est le seul lot contemporain cédé au-delà des 50 millions de dollars en 2022/2023. Nous sommes à 67,1m$ pour cette pièce monumentale constituée de trois panneaux peints sur plus de trois mètres et demi de longueur. La vente de cette œuvre emblématique, exposée dans divers musées à travers le monde, illustre les plus-values spectaculaires réalisées par les plus beaux BASQUIAT. Son prix a été multiplié par 13 entre une première adjudication en 2005 (5,1m$) et sa revente pour 67,1m$ après dix-huit années de détention (Christie’s New York, 15/05/2023). Autre exemple avec la toile Sugar Ray Robinson vendue 32,6m$ en novembre 2022 chez Christie’s, quinze ans après son acquisition pour 7,3m$ auprès de la même société de ventes.

Les prises de valeur phénoménales, de l’ordre de plusieurs millions, se sont accélérées ces dernières années pour celui que l’on honore comme le premier génie afro-américain contemporain. En mai 2022, Phillips vendait une toile majeure pour 85m$ contre un précédent prix de 57m$ en 2016 (Untitled, 1982). Mieux: la toile In This Case (1983), achetée moins d’un million de dollars chez Sotheby’s en 2002, atteint 93,1m$ chez Christie’s en 2021, gagnant la somme époustouflante de 92,1 millions par rapport à son prix d’acquisition une vingtaine d’années plus tôt.

Seul Jean-Michel BASQUIAT est capable de porter les enchères à plus de 50 millions de dollars cette année.

BASQUIAT est l’un des rares artistes Blue Chips dont les cas de reventes ont offert d’importantes plus-values cette année, mais qu’en est-il pour les artistes “Red Chips”, ceux issus de la nouvelle génération dont les prix ont flambé si rapidement sur le Marché de l’Art international? L’enthousiasme dont ils ont récemment bénéficié s’est-il essoufflé ou se maintient-il? Quels sont les artistes dont le marché ralentit au même titre que celui des Blue Chips et ceux que les collectionneurs découvrent et consacrent? Notre deuxième partie dresse un état des lieux sur un segment de marché brûlant: celui d’un Art Ultra-contemporain animé par des artistes de moins de 40 ans.